Paradoxal dans ses manifestations, déconcertant dans ses signes, le moyen-âge propose à la sagacité de ses admirateurs la résolution d’un singulier contresens. Comment concilier l’inconciliable ? Comment accorder le témoignage des faits historiques avec celui des œuvres médiévales ? Les chroniqueurs nous dépeignent cette malheureuse époque sous les couleurs les plus sombres. Ce ne sont, durant plusieurs siècles, qu’invasions, guerres, famines, épidémies. Et cependant les monuments, — fidèles et sincères témoins de ces temps nébuleux, — ne portent aucune trace de tels fléaux. Bien au contraire, ils paraissent avoir été bâti dans l’enthousiasme d’une puissante inspiration d’idéal et de foi, par un peuple heureux de vivre, au sein d’une société florissante et fortement organisée.
Devons-nous douter de la véracité des récits historiques, de l’authenticité des événements qu’ils rapportent et croire, avec la sagesse des nations, que les peuples heureux n’ont pas d’histoire ? A moins que, sans réfuter en bloc toute l’Histoire, on ne préfère découvrir, en une absence relative d’incidents, la justification de l’obscurité médiévale.
Quoi qu’il en soit, ce qui demeure indéniable, c’est que tous les édifices gothiques sans exception reflètent une sérénité, une expan- sivité, une noblesse sans égale. Si l’on examine de près l’expression de la statuaire en particulier, on sera vite édifié sur le caractère paisible, sur la tranquillité pure qui émanent de ses figures. Toutes sont calmes et souriantes, avenantes et bonaces. Humanité lapidaire, silencieuse et de bonne compagnie. Les femmes ont cet embonpoint qui indique assez, chez leurs modèles, l’excellence d’une alimentation riche et substantielle. Les enfants sont joufflus, replets, épanouis. Prêtres, diacres, capucins, frères pourvoyeurs, clercs et chantres arborent une face joviale ou la plaisante silhouette de leur dignité ventrue. Leurs interprètes, — ces merveilleux et modestes tailleurs d’images, — ne nous trompent pas et ne sauraient se tromper. Ils prennent leurs types dans la vie courante, parmi le peuple qui s’agite autour d’eux et au milieu duquel ils vivent eux-mêmes. Quantité de ces figures, cueillies au hasard de la ruelle, de la taverne ou de l’école, de la sacristie ou de l’atelier, sont peut-être chargées ou par trop accusées, mais dans la note pittoresque, avec le souci du caractère, du sens gai, de la forme large. Grotesques, si l’on veut, mais grotesques joyeux et pleins d’enseignement. Satires de gens aimant à rire, boire, chanter et « mener grand’chère ». Chefs-d’œuvre d’une école réaliste, profondément humaine et sûre de sa maîtrise, consciente de ses moyens, ignorant toutefois ce qu’est la douleur, la misère, l’oppression ou l’esclavage. Cela est si vrai, que vous aurez beau fouiller, interroger la statuaire ogivale, vous ne découvrirez jamais une figure de Christ dont l’expression révèle une réelle souffrance. Vous reconnaîtrez avec nous que les latomi se sont donné une peine énorme pour doter leurs crucifiés d’une physionomie grave sans toujours y réussir. Les meilleurs, à peine émaciés, ont les paupières closes et semblent reposer. Sur nos cathédrales, les scènes du dernier Jugement montrent des démons grimaçants, contrefaits, monstrueux, plus comiques que terribles ; quant aux damnés, maudits anesthésiés, ils cuisent à petit feu, dans leur marmite, sans vain regret ni douleur véritable.
Ces images libres, viriles et saines, prouvent jusqu’à l’évidence que les artistes du moyen-âge ne connurent point le spectacle déprimant des misères humaines. Si le peuple eût souffert, si les masses eussent gémi dans l’infortune, les monuments nous en auraient gardé le souvenir. Or, nous savons que l’art, cette expression supérieure de l’humanité civilisée, ne peut se développer librement qu’à la faveur d’une paix stable et sûre. De même que la science, l’art ne saurait exercer son génie dans l’ambiance de sociétés troublées
Toutes les manifestations élevées de la pensée humaine en sont là ; révolutions, guerres, bouleversements leur sont funestes. Elles réclament la sécurité issue de l’ordre et de la concorde, afin de croître, de fleurir et de fructifier. D’aussi fortes raisons nous engagent à n’accepter qu’avec circonspection les événements médiévaux rapportés par l’Histoire. Et nous confessons que l’affirmation d’une « suite de calamités, de désastres, de ruines accumulées durant cent quarante-six ans » nous paraît vraiment excessive. Il y a là une anomalie inexplicable, puisque c’est, précisément, pendant cette malheureuse Guerre de Cens Ans, qui s’étend de l’an 1337 à l’an 1453, que furent construits les plus riches édifices de notre style flamboyant. C’est le point culminant, l’apogée de la forme et de la hardiesse, la phase merveilleuse où l’esprit, flamme divine, impose sa signature aux dernières créations de la pensée gothique. C’est l’époque d’achèvement des grandes basiliques ; mais on élève aussi d’autres monuments importants, collégiales ou abbatiales, de l’architecture religieuse : les abbayes de Solesmes, de Cluny, de Saint-Riquier, la Chartreuse de Dijon, Saint-Wulfran d’Abbeville, Saint-Etienne de Beauvais, etc. On voit surgir de terre de remarquables édifices civils, depuis l’Hospice de Beaune jusqu’au Palais de Justice de Rouen et l’Hôtel de ville de Compiègne ; depuis les hôtels construits un peu partout par Jacques Cœur, jusqu’au beffrois des cités libres, Béthune, Douai, Dunkerque, etc. Dans nos grandes villes, les ruelles creusent leur lit étroit sous l’agglomération des pignons encorbellés, des tourelles et des balcons, des maisons de bois sculpté, des logis de pierre aux façades délicatement ornées. Et partout, sous la sauvegarde des corporations, les métiers se développent ; partout les compagnons rivalisent d’habileté ; partout l’émulation multiplie les chefs d’œuvre. L’Université forme de brillants élèves, et sa renommée s’étend sur le vieux monde ; de célèbres docteurs, d’illustres savants répandent, propagent les bienfaits de la science et de la philosophie ; les spagyristes amassent, dans le silence du laboratoire, les matériaux qui serviront plus tard de base à notre chimie ; de grands Adeptes donnent à la vérité hermétique un nouvel essor… Quelle ardeur déployée dans toutes les branches de l’activité humaine ! Et quelle richesse, quelle fécondité, quelle foi puissante, quelle confiance en l’avenir transparaissent sous ce désir de bâtir, de créer, de chercher et de découvrir en pleine invasion, dans ce misérable pays de France soumis à la domination étrangère, et qui connaît toutes les horreurs d’une guerre interminable ! En vérité, nous ne comprenons pas… Aussi s’expliquera-t-on pourquoi notre préférence demeure acquise au moyen âge, tel que nous le révèlent les édifices gothiques, plutôt qu’à cette même époque telle que nous la décrivent les historiens.
C’est qu’il est aisé de fabriquer de toutes pièces textes et documents, vieilles chartes aux chaudes patines, parchemins et sceaux d’aspect archaïque, voire quelque somptueux livre d’heures, annoté dans ses marges, bellement enluminé de cadenas, bordures et miniatures. Montmartre livre à qui le désir, et selon le prix offert, le Rembrandt inconnu ou l’authentique Téniers. Un habile artisan du quartier des Halles façonne, avec une verve, une maîtrise étourdissantes, de petites divinités égyptiennes d’or et de bronze massifs, merveilles d’imitation que se disputent certains antiquaires. Qui ne se rappelle la tiare, si fameuse, de Saïta-phernès… La falsification, la contrefaçon sont aussi vieilles que le monde, et l’Histoire, ayant horreur du vide chronologique, a dû parfois les appeler à son secours. Un très savant jésuite du XVIIe siècle, le Père Jean Hardouin, n’a pas craint de dénoncer comme apocryphes quantité de monnaies et de médailles grecques et romaines, frappées à l’époque de la Renaissance, enfouies dans le but de « combler » de larges lacunes historiques. Anatole de Montaiglon nous apprend que Jacques de Bie publia, en 1639, un volume in- folio accompagné de planches et intitulé :Les
Familles de France, illustrées par les monuments des médailles anciennes et modernes, « qui a, dit-il, plus de médailles inventées que réelles ». Convenons que, pour fournir à l’Histoire la documentation qui lui manquait, Jacques de Bie utilisa un procédé plus rapide et plus économique que celui qui fut dénoncé par le Père Hardouin. Victor Hugo, citant les quatre Histoires de France les plus réputées vers 1830, — celles de Dupleix, de Mézeray, de Vély et du Père Daniel, — dit de cette dernière que l’auteur, « jésuite fameux par ses descriptions de batailles, a fait en vingt ans une histoire où il n’y a d’autre mérite que l’érudition, et dans laquelle le comte de Boulainvilliers ne trouvait guère que dix mille erreurs ». On sait que Caligula fit ériger en l’an 40, près de Boulogne- sur-Mer, la tour d’Odre « pour tromper les générations sur une prétendue descente de Caligula en Grande-Bretagne ». Convertie en phare (turris ardens) par un de ses successeurs, la tour d’Odre s’effondra en 1645.
Quel historien nous fournira la raison, — superficielle ou profonde, — invoquée par les souverains d’Angleterre pour justifier la qualité et le titre de rois de France qu’ils conservèrent jusqu’au XVIIIe siècle ? Et pourtant, la monnaie anglaise de cette époque porte encore l’empreinte de telle prétention.
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La combinaison des deux matières initiales, l’une volatile, l’autre fixe, donne un troisième corps, mixtionné, qui marque le premier état de la pierre des philosophes. Tel est, nous l’avons dit, le griffon, moitié aigle et moitié lion, symbole qui correspond à celui de laco r be i lle de Bacchus et du poisson de l’iconographie chrétienne. Nous devons remarquer, en effet, que le griffon porte, au lieu d’une crinière de lion ou d’un collier de plumes, une crête de nageoires de poisson. Ce détail a son importance. Car s’il est expédient de provoquer la rencontre et de dominer le combat, il faut encore découvrir le moyen de capturer la partie pure, essentielle, du corps nouvellement produit, la seule qui nous soit utile, c’est-à-dire le mercure des sages. Les poètes nous racontent que Vulcain, surprenant en adultère Mars et Vénus, s’empressa de les entourer d’un rets ou d’un filet, afin qu’ils ne pussent éviter sa vengeance. De même, les maîtres nous conseillent d’employer aussi unfi let délié ou un rets subtil, pour capter le produit au fur et à mesure de son apparition. L’artiste pêche, métaphoriquement, le poisson mystique, et laisse l’eau vide, inerte, sans âme : l’homme, en cette opération, est donc censé tuer le griffon. C’est la scène que reproduit notre bas-relief.
Si nous recherchons quelle signification secrète est attachée au mot grecγρυφ,griffon, qui a pour racineγρυποσ, c’est-à-dire avoir le bec crochu, nous trouverons un mot voisin,γριφοσ, dont l’assonance se rapproche davantage de notre mot français. Orγριφοσ exprime à la fois uneén ig me et unfilet. On voit ainsi que l’animal fabuleux contient, en son image et en son nom, l’énigme hermétique la plus ingrate à déchiffrer, celle du mercure philosophal, dont la substance, profondément cachée au corps, se prend comme le poisson dans l’eau, à l’aide d’unfi let approprié.
Basile Valentin, qui est d’ordinaire plus clair, ne s’est pas servi du symbole de l’ΙΧΘΥΣ chrétien, qu’il a préféré humaniser sous le nom cabalistique et mythologique d’Hypérion. C’est ainsi qu’il signale ce chevalier, en présentant les trois opérations du Grand Œuvre sous une formule énigmatique comportant trois phrases succinctes, ainsi énoncées :
« Je suis né d’Hermogène. Hypérion m’a choisi. Sans Jamsuph, je suis contraint de périr. »
A l’issue d'une réaction dont naît le griffon, lequel provient d’Hermogène, ou de la prime substance mercurielle. Hypérion, en grecΥπεριον, est le père du soleil ; c’est lui qui dégage, hors du second chaos blanc, formé par l’art et figuré par le griffon, l’âme qu’il tient enfermée, l’esprit, feu ou lumière cachée, et la porte au-dessus de lamasse, sous l’aspect d’une eau claire et limpide : Spiritus Domini ferebatur super aquas. Car la matière préparée, laquelle contient tous les éléments nécessaires à notre grand ouvrage, n’est qu’une terre fécondée où règne encore quelque confusion ; une substance qui tient en soi la lumière éparse, que l’art doit rassembler et isoler en imitant le Créateur. Cette terre, il nous faut la mortifier et la décomposer, ce qui revient à tuer le griffon et à pêcher le poisson, à séparer le feu de la terre, et le subtil de l’épais, « doucement, avec grande habileté et prudence », selon que l’enseigne Hermès en sa Table d’Emeraude.
Tel est le rôle chimique d’Hypérion. Son nom même, formé deΥπ, contraction deΥπερ,au-dessus, et deεριον, sépulcre, tombeau, lequel a pour racineε ρα,te r re, indique ce qui monte de la terre, au-dessus du sépulcre de la matière. On peut, si l’on préfère, choisir l’étymologie par laquelleΥπεριον, dériverait deΥπερ, au-dessus, et deι ον, violette. Les deux sens ont entre eux une concordance hermétique parfaite ; mais nous ne donnons cette variante que pour éclairer les stagiaires de notre ordre, suivant en cela la parole de l’Evangile : « Prenez donc bien garde de quelle manière vous écoutez, car on donnera encore à celui qui a déjà ; et pour celui qui n’a rien, on lui ôtera même ce qu’il croit avoir. »
(...)
Sculptée au-dessus du groupe de l’homme au griffon, vous remarquerez une énorme tête grimaçante, agrémentée d’une barbe en pointe. Les joues, les oreilles, le front en sont étirés jusqu’à prendre l’aspect d’expansions flammés. Ce masque flamboyant, au rictus peu sympathique, apparaît couronné et pourvu d’appendices cornus, enrubannés, lesquels s’appuient sur la torsade du fond de corniche (pl. XII). Avec ses cornes et sa couronne, le symbole solaire prend la signification d’un véritable Baphomet, c’est-à-dire de l’image synthétique où les Initiés du Temple avaient groupé tous les éléments de la haute science et de la tradition. Figure complexe, en vérité, sous des dehors de simplicité, figure parlante, grosse d’enseignement, en dépit de son esthétique rude et primitive… si l’on y retrouve d’abord la fusion mystique desnatures de l’Œuvre que symbolisent les cornes du croissant lunaire posées sur la tête solaire, on n’est pas moins surpris de l’expression étrange, reflet d’une ardeur dévorante, que dégage cette face inhumaine, spectre du dernier jugement. Il n’est pas même jusqu’à la barbe, hiéroglyphe du faisceaux lumineux et igné projeté vers la terre, qui ne justifie quelle connaissance exacte de notre destinée le savant possédait…
Serions-nous en présence du logis de quelque affilié aux sectes d’Illuminés ou de Rose-Croix, descendants des vieux Templiers ? La théorie cyclique, parallèlement à la doctrine d’Hermès, y est si clairement exposée qu’à moins d’ignorance ou de mauvaise foi on ne saurait suspecter le savoir de notre Adepte. Pour nous, notre conviction est faite ; nous sommes certains de ne point nous tromper devant tant d’affirmations catégoriques : c’est bien unbaphomet, renouvelée de celui des Templiers, que nous avons sous les yeux. Cette image, sur laquelle on ne possède que de vagues indications ou de simples hypothèses, ne fut jamais une idole, comme certains l’ont cru, mais seulement un emblème complet des traditions secrètes de l’Ordre, employé surtout au dehors, comme paradigme ésotérique, sceau de chevalerie et signe de reconnaissance. On le reproduisit sur les bijoux, aussi bien qu’au fronton des commanderies et au tympan de leurs chapelles. Il se composait d’un triangle isocèle à sommet dirigé en bas, hiéroglyphe de l’eau, premier élément créé, selon Thalès de Milet, qui soutenait que « Dieu est cet Esprit qui a formé toutes choses de l’eau ». Un second triangle semblable, inversé par rapport au premier, mais plus petit, s’inscrivait au centre et semblait occuper l’espace réservé au nez dans la face humaine. Il symbolisait le feu, et, plus précisément, le feu enclos dans l’eau, ou l’étincelle divine, l’âme incarnée,
la vie infuse dans la matière.
Sur la base inversée du grand triangle d’eau s’appuyait un signe graphique semblable à la lettre H des Latins, ou à l’ετα des Grecs, avec plus de largeur cependant, et dont la barre centrale se coupait d’un cercle médian. Ce signe, en stéganographie hermétique, indique l’esprit universel, l’Esprit créateur, Dieu. A l’intérieur du grand triangle, peu au dessus et de chaque côté du triangle de feu, on voyait à gauche le cercle lunaire à croissant inscrit, et à droite le cercle solaire à centre apparent. Ces petits cercles se trouvaient disposés à la manière des yeux. Enfin, soudée à la base du petit triangle interne, la croix posée sur le globe réalisait ainsi le double hiéroglyphe dusou fre, principe actif ; associé au mercure, principe passif et solvant de tous les métaux. Souvent, un segment plus ou moins long, situé à la pointe du triangle, se creusait de lignes à tendance verticale où le profane reconnaissait, non point l’expression du rayonnement lumineux, mais une sorte de barbiche.
Ainsi présenté, le baphomet affectait une forme animale grossière, imprécise, d’identification malaisée.
C’est ce qui expliquerait sans doute la diversité des descriptions qu’on en a faites, et dans lesquelles on voit le baphomet comme une tête de mort auréolée, ou un bucrane, parfois une tête d’Hapi égyptien, de bouc, et, mieux encore, la face horrifiante de Satan en personne ! Simples impressions, fort éloignées de la réalité, mais images si peu orthodoxes qu’elles ont, hélas ! contribué à répandre, sur les savants chevaliers du Temple, l’accusation de démonologie et de sorcellerie dont on fit l’une des bases de leur procès, l’un des motifs de leur condamnation. Nous venons de voir ce qu’était le baphomet ; il nous faut maintenant chercher à en dégager le sens caché derrière cette dénomination. Dans l’expression hermétique pure, correspondant au travail de l’Œuvre, Baphomet vient des racines grecquesΒ αφευ σ,te in tu ri e r, etµ εσ, mis pour µεν, la lune ; à moins qu’on ne veuille s’adresser àµετερ, génitifµετροσ, mère ou atrice, ce qui revient au même sens lunaire,
puisque la lune est véritablement la mère ou la matrice mercurielle qui reçoit lateinture ou semence du soufre, représentant le mâle, le teinturier, —Βαφευσ, — dans la génération métallique.Βαφε à le sens d’immersion et de teinture.
Et l’on peut dire, sans trop divulguer, que le soufre, père et teinturier de la pierre, féconde la lune mercurielle parimmersion, ce qui nous ramène au baptême symbolique de Mété exprimé encore par le mot baphomet. Celui-ci apparaît donc bien comme l’hiéroglyphe complet de la science, figurée ailleurs dans la personnalité du dieu Pan, image mythique de la nature en pleine activité. Le mot Bapheus, teinturier, et le verbemeto, cueillir, moissonner, signalent également cette vertu spéciale que possède le mercure ou lune des sages, de capter, au fur et à mesure de son émission, et cela pendant l’immersion ou lebain du roi, la teinture qu’il abandonne et que la mère conservera dans son sein durant le temps requis. C’est là le Graal, qui contient levi n eucharistique, liqueur de feu spirituel, liqueur végétative, vivante et vivifiante introduite dans les choses matérielles. Quant à l’origine de l’Ordre, à sa filiation, aux connaissances et aux croyances des Templiers, nous ne pouvons faire mieux que citer textuellement un fragment de l’étude que Pierre Dujols, l’érudit et savant philosophe, consacre aux frères chevaliers dans sa Bibliographie des Sciences occultes.
« Les frères du Temple, dit l’auteur, — on ne saurait plus soutenir la négative, — furent vraiment affiliés au Manichéisme. Du reste, la thèse du baron Hammer est conforme à cette opinion. Pour lui, les sectateurs de Mardeck, les Ismaéliens, les Albigeois, les Templiers, les Francs-maçons, les Illuminés, etc., sont tributaires d’une même tradition secrète émanée de cette Maison de la Sagesse (Dar-el-hickmet), fondée au Caire vers le XIe siècle, par Hackem. L’académicien allemand Nicolaï conclut dans un sens analogue et ajoute que le fameux baphomet, qu’il fait venir du grecΒαφοµ ετοσ, était un symbole pythagoricien. Nous ne nous attarderons point aux opinions divergeantes de Anton, Herder, Munter, etc., mais nous nous arrêterons un instant à l’étymologie du motbaphomet. L’idée de Nicolaï est recevable si l’on admet, avec Hammer, cette légère variante : Βαφε Μετεοσ, qu’on pourrait traduire par baptême de Mété.
On a constaté, justement, un rite de ce nom chez les Ophites.
En effet, Mété était une divinité androgyne figurant la Nature naturante. Proclus dit textuellement que Métis, nommé encoreΕριχαρπαιοσ, ou Natura germinans, était le dieu hermaphrodite des adorateurs du Serpent.
On sait aussi que les Hellènes désignaient, par le mot Métis, la Prudence vénérée comme épouse de Jupiter. En somme, cette discussion philologique avère de manière incontestable que le Baphomet était l’expression païenne de Pan. Or, comme les Templiers, les Ophites avaient deux baptêmes : l’un, celui de l’eau, ou exotérique ; l’autre, ésotérique, celui de l’esprit ou du feu. Ce dernier s’appelait le baptême de Mété. Saint Justin et saint Irénée le nommaient l’illumination. C’est le baptême de la Lumière des Francs-maçons. Cette purification, — le mot est ici vraiment topique, — se trouve indiquée sur une des idoles gnostiques découvertes par M. De Hammer, et dont il a donné le dessin. Elle tient dans son giron, — remarquez bien le geste : il parle, — un bassin plein de feu. Ce fait, qui aurait dû frapper le savant teuton, et avec lui tous les symbolistes, ne semble leur avoir rien dit. C’est pourtant cette allégorie que le fameux mythe duGraal tire son origine. Justement, l’érudit baron disserte avec abondance sur ce vase mystérieux, dont on recherche encore l’exacte signification. Nul n’ignore que, dans l’ancienne légende germanique, Titurel élève un temple au Saint-Graal, à Montsalvat, et en confie la garde à douze chevaliers Templiers. M. De Hammer veut y voir le symbole de la Sagesse gnostique, conclusion bien vague après avoir brûlé si longtemps. Qu’on nous pardonne si nous osons suggérer un autre point de vue. Le Graal, — qui s’en doute aujourd’hui ? — est le mystère le plus élevé de la Chevalerie mystique et de la Maçonnerie qui en dégénère ; il est le voile du Feu créateur, le Deus absconditus dans le mot INRI, gravé au dessus de la tête de Jésus en croix. Quand Titurel édifie son temple mystique, c’est pour y allumer le feu sacré des Vestales, des Mazdéens et même des Hébreux, car les juifs entretenaient un feu perpétuel dans le temple de Jérusalem. Les douze Custodes rappellent les douze signes du Zodiaque que parcourt annuellement le soleil, type du feu vivant. Le vase de l’idole du baron de Hammer est identique au vase pyrogène des Parses, qu’on représente plein de flammes. Les Egyptiens possédaient aussi cet attribut : Sérapis est souvent figuré avec, sur sa tête, le même objet, nommé Gardal sur les bords du Nil. C’était dans ce Gardal que les prêtres conservaient le feu matériel, comme les prêtresses y conservaient le feu céleste de Phtah. Pour les Initiés d’Isis, le Gardal était l’hiéroglyphe du feu divin. Or, ce dieu Feu, ce dieu Amour s’incarne éternellement en chaque être, puisque tout, dans l’univers, a son étincelle vitale. C’est l’Agneau immolé depuis le commencement du monde, que l’église catholique offre à ses fidèles sous les espèces de l’Eucharistie enclose dans le ciboire, comme le Sacrement d’Amour. Le ciboire, — honni soit qui mal y pense ! — aussi bien que le Graal et les cratères sacrés de toutes les religions, représente l’organe féminin de la génération, et correspond au vase cosmogonique de Platon, à la coupe d’Hermès et de Salomon, à l’urne des anciens mystères. LeGardal des Egyptiens est donc la clef du Graal. C’est, en somme, le même mot. En effet, de déformation en déformation, Gardal est devenu Gradal, puis, avec une sorte d’aspiration, Graal.
Le sang qui bouillonne dans le saint calice est la fermentation ignée de la vie ou de la mixtion génératrice. Nous ne pourrions que déplorer l’aveuglement de ceux qui s’obstineraient à ne voir dans ce symbole, dépouillé de ses voiles jusqu’à la nudité, qu’une profanation du divin. Le Pain et le Vin du Sacrifice mystique, c’est l’esprit ou le feu dans la matière, qui, par leur union, produisent la vie. Voilà pourquoi les manuels initiatiques chrétiens, appelés Evangiles, font dire allégoriquement au Christ : Je suis la Vie ; je suis le Pain vivant ; je suis venu mettre le feu dans les choses, et l’enveloppent dans le doux signe exotérique de l’aliment par excellence. »
"Chacun est libre de prendre ce qu'il veut,
Moi je prends du tétractys."