RIDEAU
"Ah te voilà, tu tombes bien, justement j'espérais que tu apparaisses vite. Il va falloir que tu me partages. Je suis en conflit sur une position. J'ai simultanément plusieurs positions, tu vois c'est pas simple. Mais ce n'est de tout façon par ce pourquoi je t'attendais.
_Et pour quoi alors ?
_Ne hurle pas, je t'ai écrit une pièce. C'est un salon je crois, ou une chambre qui fait office de réception, bon une sorte de hall autant dire que c'est un bar couchette, tu vois. Il y a bien des lits superposés qui font des cloisons dans tous les sens, il y a ce grand comptoir qui est habité, on le voit dès le début, et il y a des petites infractuosités d'où l'on tire toutes sortes d'accessoires. Il y aura notamment cette boutique qui t'est si chère, et le scaphandrier géant, je tenais à l'y placer. ça a pas été facile crois-moi. Il voulait pas prendre position fermment, tu imagines ça, un scaphandrier géant qui gesticule sans arrêt dans une pièce qui n'était pas encor écrite pour avoir une forme définitive, ça a fait tout bouger plusieurs fois, quelle plaie !~~ M'enfin, j'y suis arrivé.
_Où ça ?
_Sois pas fâchée, je te dis que je t'ai écrit une pièce, tu n'es pas contente ? Je vouidrais que tu sautes au plafond, comme elles font ces filles dont j'entends partout parler, ce n'est pas un mythe quand même, elles existent bien, hein ? Quand on leur dit qu'on a trouvé une couleur au sol qui aille bien avec les plafonds de la terrasse elles y sautent de joie et on ne les revoit plus. Bon, alors je te la refais : je t'ai écrit une pièce.
Elle saute de joie très gaiement.
_Oui, et donc, j'ai pris le soin de te mettre en premier plan. Enfin, je vais passer mon temps à te dire que ça devrait te plaire, mieux vaut que je te fasse une petite mise ne situation. Voilà, tu passes ici, et pendant que tu as la tête dans le trou, là, et qu'on dit - on, c'est un épistologue de passage qui est aussi sémiologue mais met là-dessus depuis cinq minute un bémol que tu écoutes attentivement - que dans l'art contemporain il n'y a pas que du trash & du prout, toi, tu commences à danser comme si tu entendais quelq chose qui résonne l'ambiance qui te plait le plus. a tel point qu'on croit bientôt que t'en as plus rien à cirer ce qu'il te raconte.
Comme ce qu'il dit est intéressant - il commence de venter les mérites de l'artiste en question - j'entre pour être l'oreille que tu n'es plus, tu comprends ?
_L'oreille que tu n'es plus ?
_Qu'est-ce que tu fais, tu m'écoutes ? (elle a la tête dans un trou et elle remue les fesses). Bon, il dit qu'il vient de se payer toute la série - ça s'appelle "Les BUNAIRES" il rigole en le disant, et il a ce geste très particulier de l'humour de répétition, quand il est content de lui il se gratte les couilles. Tu me suis ?
(Elle sort la tête du trou :) C'est un peu vulgaire le truc des couilles, tu peux pas lui faire faire le bruit du paon qui pourchasse sa femelle ?
_Ah pas bête, j'y réfléchirais. Ah oui mais non. Je peux pas, y a un truc avec les couilles, une scène où ça risq de faire flancher la vanne. Bon, mais j'y réfléchirais, quelq remaniements, hein, ça peut pas être bien mauvais, de toute façon y en aura, j'en ai déjà quelq uns en vue. Et tu me dis, hein, tu n'hésites pas ? Qu'est-ce que tu fais encor ? (elle gribouille quelq chose sur un morceau de toile carrée vierge qui reposait là)
_Je te croque mon amour.
_C'est très bien, me voilà pomme & cher. Alors je ris aussi quand il dit BUNAIRES. (il se gratte les couilles)
_Tu ne te grattes pas les couilles aussi quand même. (le remarquant :) Mon dieu ! Mais tu as transposé ton propre tic à un personnage, tu te mets en danger, tu en as conscience n'est-ce pas ?
_En danger ? Mais qu'est-ce que tu me chantes là ? Bon, et alors toi comme tu sors la tête de ton trou et que tu le remarques tu me fais un signe - tout le public doit être ilare à ce moment parce que tu étais la dernière à ne pas l'avoir encor remarqué, alors qu'il l'a fait à plusieurs reprises juste à côté de toi - quelq esquives subtilement jouées auront à ce moment déjà fait marrer tout le monde/.
_Comment sais-tu que le public se marre ? Tu le recrutes toi-même ?
_Figure-toi que j'y ai pensé. Mais ce n'est pas la proposition où je veux en venir, allons-y j'ai pas ma journée non plus.
_Elle est bien bonne celle-là !
_Comment tu sais ?
_Quoi ?
_C'est ce que tu dis, à ce moment-là. Elle est bien bonne celle-là !
_Ah mais Francis, tu vas me mettre en scène comme je suis au naturel, hein, je veux un rôle qui me fasse bosser un peu, si je dois être moi-même je préfère te prévenir je vais m'emmerder, et quand je m'emmerdre je me connais je ne fous rien. En même pas deux jours j'aurai renoncé.
_Mais qu'est-ce que tu me chantes encor, renoncer, tu ne renonces jamais pourquoi ça commencerait aujourd'hui ? Bon, donc pendant que tu gesticules dans son dos pour me faire voir qu'il se gratte les couilles
_C'est vulgaire ~
_Oui, lui, continue d'évoquer la série. Il y a là un parallèle entre la présentation qu'il en fait "C'est une série conceptuelle, ça a été présenté à la Galerie Machin-chose, et il m'a dit quand on s'ets parlé, qu'il voulait signifier le dos de la cuillière - il se gratte encor les couilles - c'est à dire ce qui se passe dans notre dos quand on n'y a pas l'oeil." (Il se gratte les couilles)
_Mais arrête de faire ça, enfin. Je n'avais jamais fait attention que tu faisais ça, c'est fou non, qu'est-ce qui te prend ?
_Encor ilare de son explication, et pendant que tu me fais rire en mimant que tu t'en vas, il se déporte vers le mur où tu comptais te faufiler. Puis revient où tu comptais dévier. Bon, une fois, deux fois, a peut être marrant, mais seulement ça.
_Après je m'assois.
_Excatement. Tu t'assois et tu prends une toile carrée que tu as trouvée vierge au sol.
_Tu as un choix très bizarre parfois, de l'ordre de tes mots.
_Dis donc.
_Pardon, je respecte l'artiste autant que l'homm, mais ça devait être dit.
_Tu fais bien. Je t'aime pour cette clairvoyante lucidité qui s'empare de toi dans les moments les mieux choisis.
_Je t'ai coupé.
_C'est ça, je continue. Tu prends cette mine éxagérement ennuyée que tu fais quand tu veux qu'on remarq très vite que tu n'en as rien à cirer. Et ça semble un peu embêter ledit bonhomm : Rombe-terre.
_Il s'appelle comment ?
_Non, c'est comme ça quil réagit, rombe-terre. Je viens d'inventer une formule qui coûte pas cher à prononcer et qui se prenne aussi bien très tôt le matin, que très tard dans le jour. Rombe-terre : il t'ausculte en continuant de parler, il hésite à me quitter du regard puisqu c'est quand même moi son principal publiq, il fait des geste qui le permettent de rester concentré sans perdre la face ou le fil de son extrication, et par des coups d'oeil furtifs il observe cette façon si peu aimable que tu as de la provoquer. Je ne le laisse pas se décourager, il a encor tant à dire, je le pousse du bras vers la sortie, où je disparais aussi.
Toi seule. (il sort)
_Oui ? Et ?
(de loin, dans la pièce voisine:) Et tu te relèves (elle se relève pour l'écouter, elle l'entend mal). Et tu tends l'oreille, finalement intrigué par un détail qui t'avait échappé.
_Lequel ?
_Eh bien, que je semblais avoir volontairement voulu me retrouver seul avec lui, et poliment, t'avoir évincé de notre duo pour, qui sait, causer de quelq chose qui t'échapperait.
_Quelle chose ?
_Va savoir ? Tu ne supposes rien, seulement voilà, tu tends l'oreille.
_Hein ?
_JE DIS TU TENDS L'OREILLE. Et tu essaies d'entendre. Tu crois remarquer qu'en effet ils ont baissé d'un ton.
_Et juste pour savoir, me faire une idée : tu tricotes vraiment un truc dans mon dos ?
_Dans la pièce, oui.
_Quelle pièce ?
_Cette pièce.
_Ah, oui bien sûr. Et c'est quoi ?
_Sois pas impatiente, attends un peu ça va se décanter. Tu t'approches de la porte et tu te penches vers le trou de la serrure.
_Le public va passer son temps à mater mon cul en fait.
_Ecoute bébé, on va pas réinventer les codes
_Et pourquoi pas ?
_Oui, mais pas maintenant. L'entracte va bientôt se terminer, c'est à moi juste après. T'es bien gaulée, faut tirer avantage de tes atouts, hein.
_Mouais, mais pas éxagérer non plus.
_Non, écoute c'est très à propos : on a une similitude de ce moment avec le précédent.
_Le truc de l'art contemporain ?
_Exact. (Elle est devant la porte, tête baissée vers la serrure, et le cherche du regard. Le public rigole de la similitude avec ce que la pièce doit lui faire jouer.)
_C'est peine crédible hein ?
_Quoi donc ?
_Ton truc de la tête dans le trou. Une jeune et jolie fille passe pas son temps à mettre la tête dans des trous.
(Il est ilare à son tour.)
Tu l'entends rire, et ça t'intrigue.
_Pourquoi tu ris ?
_Comment tu sais ?
_Quoi ?
_Ah, encor ? Oui alors justement, tu dis "Pourquoi tu ris ?" à ce moment là.
_Ah bon ! Décidément, c'est téléphoné ton truc, hein !
_Parce que les circonstances dans lesquelles on se toruve sont un chouilla similaires à celles de la pièce et que ça a eu eu DEuuux fois la petite manie de créer une similitude, tu vas me chanter que c'est téléphoné, dis donc.
_Je t'ai vexé ?
_Mais non,
_Si si je le sens bien à l'intonnation de ta voix, je t'ai vexé.
_Dis, quand on aura avancé vers le sujet où je veux ton opinion on pourra si tu veux refaire le tour des malentendus qui devraient nous faire partir en sucette trop tôt. C'est bon ?
_On part jamais en sucette, pourquoi tu dis ça ?
_Justement, dans la pièce si, et aussi vrai que d'habitude je me gratte jamais les couilles
_C'est pas vrai tu continues avec ça ? C'est pas un peu racoleur ?
_C'est à propos, et de toute manière c'est pas dans la pièce, je t'explique juste : aussi vrai que dans la vie on ne se fâche pas, ni plus que je me gratte les couilles
_Tu peux pas inventer une formule pour ça aussi ? Genre "Je ne me tistraque pas"
_Je ne me tristaque pas ??? Tu déconnes j'espère ?
_Mais c'ets pas dans la pièce tu as dit. Et puis ça vaut bien ton comment déjà...Mottedetterre ché pas quoi là, nan.
_Passons. Je dis juste que les circonstances un peu particulière de la pièce semblent avoir un effet direct sur ce qu'il se passe entre nous maintenant. Comme si quelq chose de magiq se produisait.
_Magiq, ah oui ? Tu trouves ça magiq toi, de me laisser seule devant le public pendant que tu me racontes une pièce ?
_Fais en abstraction, c'est un public payé d'ailleurs, c'est des acteurs.
_Je ne vois pas ce que ça change, ils n'ont pas de sentiments ?
_Si, mais ils connaissent déjà le script.
_Tu leur a déjà tout raconté, mais à moi non ? Comme d'habitude, quoi, je suis la dernière au courant.
_Au courant de quoi, je te l'ai dit, je t'attendais justement, je voulais ton avis, et j'espérais que tu ne tarderais plus. Et puis, je crois que tu ne comprends pas bien : le public, ce sont des acteurs, donc, oui, ils ont lu le script. Tout comme tu devrais l'avoir lu aussi. Mais attends, ôte-moi d'un doute, tu l'as lu n'est-ce pas ? Ou tu improvises depuis tout à l'heure ?
_Comment ça si j'ai lu le script, tu es en train de me lire, c'est la première fois que je t'en entends parler, c'est une surprise et tu veux que j'en aie pris connaissance avant de faire irruption dans la pièce ?
_ça éviterait peut-être que tu te fâches de tout et que tu me dises que je ne t'informe jamais de rien, ce qui est absolument faux.
_C'est vrai.
_Merci.
_Non je veux dire.
_Peu importe. Je te dis que la pièce est magiq, et chaq répliq m'en donne la preuve un peu plus. C'est pourquoi d'ailleurs j'en suis sorti.
Tu ne ressens pas quelq chose d'étrange ?
_Comme quoi ?, non. Je ne crois pas. Tu es sorti de la pièce, en vrai, mais la pièce, tu y joueras, ou c'est acteur qui jouera mon mari aussi ?
_Non, dans la pièce on ne sera pas mariés, on sera d'excellents amis.
_Mais tu joueras donc ?
_Non, c'est un acteur qui jouera.
_Mon excellent ami que tu fais maintenant, c'est un acteur qui le jouera ?
_Non, ton mari
_...
_Oui, bon. Nou,s nous resterons d'excellents amis. Dès que cette pièce sera finie, tu verras, nous ne pourrons plus être mariés. Mais nous resterons de très bons amis.
_Et c'est toi qui jouera ?
_L'excellent ami oui. ton mari, c'est ton nouveau mari qui le jouera.
_Dis donc, c'est que tu projette loin là.
_Non pas tant. (il se rapproche et la prend dans ses bras)
_Qu'est-ce qui te prend ?
_Je tiens fort à toi tu sais. Et quoi que tu découvres quand tu ouvriras cette porte ....
_Oh mon dieu ...!"
Trois coups frappent.