Lune, dés, scène, phare. Tout ça collé, déposé sur une table qu'on prend pour une estrade, estrade qu'on finit par prendre pour bain, un conjoint, un proche parent, et qu'on prend finalement même pour une scène. 1.- La scène où l'on s'attend au tournant ~ ''On n'attendait même plus que ça'', disent les acteurs un peu las. C'est la scène tant attendue du ravitaillement, l'une des scènes far de la pièce illumine dehors, lumineuse puisq poussée de la feuille à l'heure où je l'écris, à tel point poussée que j'ai du mal à la poursuivre sans lever le coude, entre déjà dans l'orbe féminine de l'intelligible & du directement accessible, cercle par lequel elle entre et sort à souhait, sans se préoccuper de la logiq à trouver là-dedans. Tous commencent à rassembler leur bagage. ''Vous venez Mademoiselle ...? _Alice. Oui je vous suis. _Je vous ai. _Je vous hais aussi. _J'en suis ravi. _Alice est ravi aussi, tu l'es vraiment ? _Ah on se tutoie maintenant ? _C'est mieux qu'on soit amis. _J'en suis sûr. _J'en étais sûre. _C'est faux, je n'en sais toujours rien. _C'est fou moi non plus. Commençons par sortir'' Cette scène attendue à tous les tournants, là voilà, celle où le train ne s'arrête pour rien. 'Pour rien au monde je n'arrêterai cette pièce'', dit aussi le metteur en scène, à un créancier qui devient regardant. ''Bah il vient pas lvi ? _Bah tu viens pas toi ?'' Le neveu contemple le vide qui passe par là. Puis : ''Ah moi ? Non je vais vous attendre ici plutôt. C'est mieux. _Nous attendre ? Il a rien compris. _T'as compris qu'on partait n'est-ce pas ? On met les voiles. Dès que le train s'arrête on met pied à terre, main à la pâte, tête dans la lune, pattes dans le coton, & tout ce qu'on trouve qui passe par là quand on y pense on le met dans ce qui correspond. Tu peux bien nous attendre, mais tu seras déjà loin quand tu auras compris qu'on ne reviendra pas. _Ah mais si vous reviendrez, vous verrez. _Il sait quelq chose lvi ~ _J'aime pas moi, quand c'est le Neveu qui sait quelq chose ~ _C'est jamais bon pour notre gueule ça... _À tous les coups vous dites ça. C'est en boucle, toutes les 48 h vous me retrouvez dans la scène du lendemain de beuverie, on cause on cause et on se retrouve ici, et...je vais pas tout raconter mais non, cette fois-ci moi j'attends là. Marre de me prendre un coup de pioche dans la première scène, à chaq fois. Si c'était pas mon oncle le réalisateur je me demande ce que ce serait. Et ici au moins y a un bar. _Bon laissez-le, il divague. _Vague _Voyez, à tous les tours il fait ça. _Mais comment ça 'à tous les tours' ? Bon vous voulez bien nous expliquer ce qu'il se passe ici au juste ? _Je ne suis sûr de rien mais ~ _Moi non plus, sauf des Épîtres de Paul~ Tous incrédules : _Quoi ? Pourquoi les épîtres de Paul ? T'es croyant toi maintenant ? _Toujours pas, mais ce que Paul a dit, c'est du passé. Et s'est passé. (Un homm déguisé en cuisto portant une femm en gelée à la mandarine : ''Laissez passer ~'') _Je donnerai cher pour une bouchée de pain. _Et j'ai l'habitude de croire au passé plus qu'au présent : ''J'avais l'habitude de croire'' Et jamais de la vie on ne dira 'J'aurai l'habitude de croire' au futur D'abord parce que c'est mal poli, & surtout parce que le futur n'écoute définitivement jamais rien de ce qu'on a à lvi dire. Ce futur est ce temps dont on dit comme d'un sourd à l'oreille duquel tombe quelq chose -mais quoi ?- qu'il est incertain. On le dit si souvent qu'il en devient timide. _Je crois qu'il ne viendra jamais, dit un homm à une femm qui s'ennuie devant les paysages qui défilent depuis des années. _Je peux seulement dire au futur que je veux de l'amour _Je voudrai de l'amour, dit encor cet homm. _Bon, t'as fini ? À ton tour : ça veut dire quoi 'À tous les tours' ? _Ça va pas vous plaire. Et de toute façon le train ne s'arrête pas pour le ravitaillement.'' Silence. ''Eh bien non bande de crétins, expliq poliment le second rôle tombé de la pièce du dessus, ce train est autoalimenté. Cette pièce ne s'appuie sur rien. '' C'est comme au cinéma, y a les petites productions, les films d'auteurs. Un genre spécial, 'très à part' disent les critiq sympas. Il y a le cinéma indépendant...et le théâtre qui ne s'appuie sur rien, voilà. _Indépendante, ouais, viva la révolucion _Ta gueule. Qui ne s'appuie sur rien, ça veut pas dire dans le vide, non hein ? _Non ! Mais non... Mais il n'y a non seulement aucune oeuvre alentour, un tant soit peu proche qui puisse nous arrimer, nous faire accoster ou s'ancrer à elle, s'appuyer sur cette pièce pour autre chose paraît aussi peu probable, quant à savoir quel support la soutient, inutile de le dire _Mais si, si c'est utile, dites-le nous donc ! _Aucun support. _Pas de rail ? _Pas de rail _Pas de bande son ? _Pas de bande son _Pas de papier ? _Même pas de stylo ! ~ on écrit à la plume Murano depuis un certain temps. L'opération du Saint Esprit, nous lévitons mes amis !~ _Il est tombé ? _Il a beaucoup bu hier. Moi aussi'' (il tombe aussi) Quand tout le monde se réveille, on dit 'Bon on va peut-être faire quelq chose pour sortir de cet enfer !~ _Quelq hypothèse un peu positive ? _Cette pièce émet ses propres lumières, mais ses hypothèses non plus ne reposent sur rien : bien essayé mais non. _Merde. _On y est. _Où ? _Le TERMINUS !'' Une voix de femme, très émue (sitôt qu'elle retentit on entend un coup de tonnerre, puis des applaudissements :) Terminus. Personne ne bouge ! Prochain terminus dans 48h !'' (les applaudissements redoublent. On entend aussitôt une voix sévère : 'peut mieux faire') _La voix de mon oncle ! _Il est là lvi ? _Au bar, il essuie les verres. Enfin, chez ma tante c'est ce qu'il fait en tout cas,...'' ''En celà cette pièce est sans dessus-dessous comme on dit, elle compte bien quelq astuces, des fils qui tracent des trames, quelq murs, mais pas de couvercle alors ? Pourtant je vois un plafond, y a quoi au-dessus ? _D'autres pièces~ _Ah ouais, vraiment le petit budget donc. _C'est rien de le dire. _Ils nous ont collé dans une boîte en carton quoi ~ _En métal. _Ah oui, (il fait tinter les parois) en métal...C'est insupportable~ _Lourd~ _Très. (prenant son rôle à coeur :) Et ça ne supporte rien non plus je vous l'ai dit, totalement indépendant, désolidarisé, c'est une affaire. _Quel rôle t'as déjà ? _Je serai bientôt vendeur. _Vendeur de société individualist ? _Non, pourquoi ? Seulement vendeur de voiture. _Dans un train ? _Et pourquoi pas ? _Bof, je sais pas, je me fais une remarq mais c'est quoi pourquoi pas. Et là tu sèches, pourquoi tu vends pas ? _Pour le moment je ne suis que ce type qui tombe de la pièce du dessus, mais dans la pièce du dessus justement vous verrez, je suis vendeur de voiture. _J'ai hâte, _Moi aussi, d'ailleurs ça devrait plus tarder je vois du vague. _Ce type est un déséquilibré. Ce neveu aussi me tape sur le systèm, si on reste ici je vais devenir dingue moi. _On va au-dessus ? _Y a quoi comme pièce au-dessus ?~ _Justement le coeur brisé y est. _Comment tu sais ça toi ? _Mon oncle étant le réalisateur j'ai quelq infos en avance ~ _Méfie-toi ~ _Sans blague, il me refile des tuyaux quoi 'attention au coup de pioche', 'Le coeur brisé est au deuxième', 'va au fond de la pièce y a une échappatoire' etc. _Qu'est-ce que je te disais. (Il sent qu'on l'observe et juge bon de se taire.) _Mais qu'est-ce qu'il fait au deuxième, y a rien au deuxième à cette heure _Justement, il noie sa peine dans l'alcool. Bar vide, lumière tamisee, un peu cliché pour un réalisateur qui se veut inspiré, mais bon y a des images auxquelles on n'échappe pas ~ _J'en ai une qui me colle à...'' (Il se tait vite encor.) Ils montent tous au premier. Au premier bar il s'arrête, et à la seconde un serveur dit : ''Je vous sens tous remontés, là, qu'est-ce que je vous sers ?'' ''Je voudrai de l'amour'' continue de dire la femm que l'homm a convaincu. _On n'en sert pas encor, seulement après le tournant'', répond le serveur par erreur.