Positivement ravi d’emménager dans son nouvel appartement de cent vingt-quatre mètres carrés au cent-vingt-quatrième étage de la ville, Li Tchang Ming pose son bagage dans l’entrée qui fera, il se le dit à voix haute, office de bibliothèque, et se dirige sans perdre une seconde, vers la longue baie vitrée qui lui donne une vue imprenable sur la deuxième tour de la ville. A cet étage, c’est génial, la tour B loge l’un de ses trois seuls jardins. Ce sont donc à deux cents-mètres devant lui, qui s’étend à perte de vue sur la droite, une luxurieuse végétation de quelques milliers d’arbres et de hautes plantes. A gauche, les deux tours finissent quelques dizaines de mètres devant la paroi arrière du vaisseau, ouverte en quelques hublots sur les myriades d’étoiles, qui seront probablement visibles d’ici, dès l’extinction générale des feux.
Plus bas, dans cette fosse qui sépare les deux tours, une abîme de près de quatre-cents mètres logent ici et là, les plate-formes suspendues, de tailles plus ou moins importantes, rejoignant une tour et l’autre par d’étroites languettes permettant le passage à deux personnes, trois tout au plus. La plate-forme sur laquelle Li a vue la plus directe, est suspendue à peine à plus de soixante mètres en-dessous, de sorte qu’au-dessus des plafonds lumineux des boutiques, marchés et lignes de monorails qui s’y trouvent, s’offre là à lui une vue dégagée sur les baies vitrées de quelque chose qui n’est pas quantifiable, de voisins qui doivent presque se chiffrer en dizaines de milliers.
Jusqu’à la plate-forme suspendue au-dessus de lui, les tirants d’acier par centaines traversent verticalement le vide immense, parfois si rapprochés les uns des autres que ne semblent plus s’alterner que des bandes noires et des bandes grises. Les reflets lumineux de ces câbles à stries d’acier tendus sur le fond opaque et terne du béton, lui font, le court instant d’une absence, perdre toute notion de profondeur dans cet espace sans mesure.
Malgré le malaise qui l’envahit, Li est si subjugué, tellement certain de devoir chercher à comprendre encore à quelle illusion il devra ne plus se laisser être le sujet, qu’il cherche sans décrocher ses yeux, des points de repère dans cette alternance de vide et de points lumineux. Mais les lumières des bas étages qu’il aperçoit à peine entre la paroi de la tour et les plate-formes, dans cet espace fomant des couloirs verticaux, ne lui laissent pas à voir suffisamment pour qu’il parvienne seulement à situer par exemple, son précédent appartement, ou retrouver les boutiques à flanc de paroi, ces boutiques-balcon auxquelles il était familier.