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Michel Blazy entretient une certaine défiance envers la notion d'oeuvre, au sens de maturation et de complétude, lui préférant les tentatives bricolées et la "bonne volonté" des matériaux à vivre leur vie au sein de ces "dispositifs d'encouragement". En travaillant avec du vivant (animal ou végétal) ou du non-solide (le collant, le liquide, le mousseux), il explore les microcosmes de proximité, ces "multivers" dont l'activité et les métamorphoses incessantes sont parfois invisibles à l'oeil nu. Pas davantage que Francis Ponge, Michel Blazy ne prend le "parti pris des choses" : l'intéresse avant tout l'altération des matériaux, en procédant par association d'idées (planter un balais de paille pour qu'il prenne racine) et en suscitant des situations aux limites de l'aberration. Qu'il déforme thermiquement du plastique jusqu'au maximum de sa résistance, ou qu'il s'attache à faire germer des graines dans une serpillière, la contemplation du laisser-vivre vient toujours a posteriori, une fois le point d'équilibre méticuleusement atteint, comme le bâtisseur de château de cartes s'éloigne de son édifice en retenant son souffle. Lorsqu'il filme dans Les Suites et les Fins (1995) les pérégrinations de bestioles du jardin, il s'attache à des situations semi-construites (la course d'une punaise sur un tuyau d'arrosage, le trébuchement de l'araignée sur la moquette), il joue de clins d'oeil anthropomorphiques (des poissons éberlués par une bouteille en plastique, la perdition d'une fourmi dans un bassin), sans singer le naturalisme. Pour autant, Michel Blazy n'adopte pas une attitude hostile et travaille au contraire à concevoir les contextes les plus hospitaliers, propices au développement de ses organismes : ainsi son Projet d'habitat agréable aux insectes (1996), aux monticules de purée aromatisée et colliers de tomates en putréfaction, pôle attractif pour de nombreux insectes qui infestèrent un été le centre d'art du Crestet. Les dispositifs de Blazy visent moins à mettre en scène, à dramatiser la nature qu'à favoriser l'observation de ses métabolismes, à un niveau dermatologique (moisissures, dessications) : ses installations, perceptibles aussi bien optiquement qu'olfactivement et tactilement (l'humide, le moite), ne sont appréhensibles que dans la durée, comme son Mur qui pèle, qui se désquame progressivement. Progrès ou catastrophe, réussite ou échec sont des mots qui ne peuvent trouver place dans le travail de Michel Blazy, où le vouloir-voir l'emporte sur un savoir-pouvoir. L'homme préhistorique narrateur d'un roman de Roy Lewis* le prédisait déjà : "Je crois que notre force viendra de ce que nous ne sommes pas des spécialistes". Piron François, "Michel Blazy", in catalogue Sensitive, Printemps de Cahors, Éditions Actes Sud, 2000, p.26. *Pourquoi j'ai mangé mon père, Actes Sud, Arles, 1990 |
Texte de
Anne Malherbe Avant même d’avoir pu apercevoir les œuvres, le visiteur est accueilli par des affichettes qui lui recommandent vivement de ne pas y toucher. On en saisit la raison dès la première salle : s’y tiennent des caniches à la fourrure bouclée et bien peignée, réalisée à l’aide de mousse à raser. Celle-ci semble tenir par prodige — mais il faut croire que les produits les plus chimiques ont une résistance hors du commun. Une vague odeur synthétique flotte désagréablement. Ces caniches apparemment tout juste sortis d’une séance de soins esthétiques sont l’image kitch de la beauté de magazine : impeccable mais artificielle. Promis à une décrépitude accélérée (il faut réajuster leur brushing de mousse toutes les trois semaines), ces chiens prennent place dans une vaste vanité qui occupe toute la galerie. Par un glissement à l’intérieur du champ sémantique du chien, l’exposition se poursuit par des squelettes montés en croquettes. Quelques rondelles de bacon se glissent entre leurs articulations. Nourriture, pourrissement, mort sont organiquement mêlés. Sur le mur, de répugnantes araignées sont composées de substances (de la purée de légumes par exemple) qui les rendent paradoxalement comestibles. Ces matériaux premiers ayant à peine été transformés, leur relation avec les bestioles est des plus troublante. On est loin ici des pâtes d’amande en forme de fruits ou de figurines. Mais il ne s’agit pas non plus d’araignées noires et velues empruntées à Harry Potter. Si l’araignée est monstrueuse, c’est parce qu’elle semble figée au milieu d’un processus de transformation inachevé, ou parce qu’elle serait le résultat d’une hybridation ratée. L’œuvre est celle de l’apprenti-alchimiste qui s’est aperçu, au cours de son expérience, que l’art reste à jamais un artifice. Dès lors, elle se laisse examiner sous toutes ses coutures sans exercer moins d’attrait que d’effroi. La sensation mêlée que suscitent ces travaux est plus exacerbée encore dans la seconde salle de l’exposition. Une table y est dressée, présentant des fruits et des légumes posés ça et là avec cette négligence apparente propre aux natures mortes. Aperçue dans l’encadrement de la porte, la table attire comme on serait alléché par un festin. Là aussi, une odeur est perceptible, un peu douçâtre, à la fois agréable et vaguement écœurante. Cette fois, les fruits et les légumes sont réels, mais enduits d’un mélange de substances chimiques et organiques qui les enrobe d’une apparente moisissure. Pourtant ce n’est justement pas de la moisissure, et ces couleurs fades, ce velouté ne sont pas totalement dégoûtants. S’agit-il bien d’une vanité? Contrairement à la vidéo Still-Life de Sam-Taylor Wood (2001) qui nous fait assister, en accéléré, au pourrissement des fruits, les signes de la décomposition sont ici déjà là ; ils ne sont pas le fait de la nature, mais des pratiques illusionnistes de l’artiste. Tels des décorations précieuses, ou comme le sucre des pâtes de fruits, ils attirent. La décomposition est aussi une transformation, c’est-à-dire une modalité de l’art. | |
Artiste(s) Michel Blazy Né en 1966 à Monaco. Vit et travaille à Paris |
(Vanity Case, mousse a raser et composants mixtes)