Debuts : forme de lettre du narrateur ~
En 2050 et les débuts encore incertains de l’homme indivisible, naissait la théorie selon laquelle il existe un point de l’esprit, qui est en fait un point de l’espace, localisé géographiquement, où l’esprit faisant illusion et foi, fait aussi et surtout fusion, et cesse donc d’exister en tant que tel, indépendamment du reste.
Cette fusion des points de l’esprit et de l’espace où les temps s’effondrent pour avoir lieu simultanément, de sorte que tous les temps cohabitent, et que plus nul devenir ne subsiste d’aussi incertain, d’aussi nettement découpé du grand tout absorbant, d’aussi avancé et prétentieux qui se veuille imprévisible depuis toujours, permet que se confondent au lieu de ça, les présents continus et les passés imparfaits, dans un temps unique.
Situé aux abords de l’étoile Ampad, nichée au creux d’une légère distorsion d’espace proche de l’éblouissante Altaïr, dans la constellation de l’Aigle, ce point de l’esprit est celui où l’être moderne cessera de n’exister que par lui-même et dans un temps indéfini qui, en perpétuelle mutation, le rendait aussi friable, temporel, éphémère et mortel, qu’il était possible jusqu’alors, d’emblée, de s’imaginer devoir mourir, comme un concept inné de la vie qui s’imposait de lui-même.
Ce concept de vie, condition inéluctable qui régit le sort des civilisation terrestres depuis la nuit des temps, les scientifiques qui mènent l’embarcation de la ville verticale à laquelle notre monde venait d’être réduit, annonçaient dès cette année pouvoir le faire tomber prochainement.
La chute des temps, cette fameuse chute de tous les temps, nous sommes aujourd’hui sur le point de la franchir.
A quoi faut-il s’attendre ? Nous avançons géographiquement dans une carte en perpétuelle mutation, nous respirons, nous parlons, nous redoutons, et nous agissons depuis toujours comme des êtres physiques, dont la mémoire séculaire, cette mémoire génétique de l’espèce, influe sur tout effet que notre pensée a sur nos actes, pensée riche de souvenirs, de connaissance, d’apprentissage, de doute. Pensée orientée par nos buts, nos objectifs, les points de chute que notre regard en temps réel fixe et voit approcher.
Dès lors que nous aurons passé un cap, de tout ceci, que restera-t-il ? Si les pontes de la physique quantique qui étudient nos coordonnées chaque jour, disent vrai et que tout ceci est vrai, mon dieu je l’espère, c’est fou je le souhaite tant, on dirait l’espoir et le désir eux-mêmes tant cette pensée est présente partout en moi, de tout ne restera rien. Pourtant, pour des êtres de notre espèce qui ont toujours vécu avec le savoir que de tout reste toujours un peu, que tout se transforme, que tout se forme par voix de conséquences, parce qu’il existe quelque chose qui le permette, comment concevoir comme possible que tout à coup, le cap passé lui-même, n’aura plus d’existence réelle, qu’il n’y aura plus de retour possible puisque tout se figera. Une fois pour toutes, et plus jamais après cela.
Nous approchons, et tandis que l’euphorie n’a jamais été si haute, tandis aussi que l’on célèbre partout, aux enseignes de La Luna, sur tous les toits et les tiroirs de chaque étage, dans tous les établissements de la ville, avec tant de ferveur et pareille conviction, je redoute maintenant, et je doute...